Un portrait cinématographique d’une femme insaisissable
Mario Martone signe une œuvre dense et subtile en explorant la vie de Goliarda Sapienza, une figure complexe de la scène culturelle italienne. Inspiré non pas par son œuvre la plus célèbre, *L’Art de la joie*, mais par ses récits plus confidentiels tels que *L’Université de Rebibbia* et *Les Certitudes du doute*, le réalisateur plonge dans une tranche de vie marquée par l’incarcération et la soif de liberté. Le récit débute dans les murs d’une prison pour femmes, où Goliarda purge une courte peine pour vol. La caméra, loin de tout sensationnalisme, capte les dynamiques subtiles et les tensions de cet univers clos. Mais c’est une fois sortie que le film explore sa véritable dimension : celle d’une quête de sens, de désir et de réinvention.
Une rencontre où désir et trouble se mêlent
À sa libération, Goliarda croise le chemin de Roberta Matilda De Angelis, une jeune femme à l’histoire marquée par l’instabilité et l’addiction. Entre elles, une relation naît, empreinte de contradiction et de couches multiples. Respect, admiration, complicité, et peut-être quelque chose de plus. Roberta, tiraillée par un désir qu’elle n’arrive pas à nommer, incarne une certaine peur de l’inconnu. Goliarda, en revanche, se positionne en femme affirmée, curieuse et ouverte à l’expérimentation. Ce déséquilibre entre assurance et incertitude crée une tension palpable, rendant leur dynamique profondément humaine et fascinante.
Une figure queer avant l’heure
Le personnage de Goliarda, interprété avec brio par Valeria Golino, brille par sa modernité et sa complexité. Femme de théâtre devenue écrivaine, militante proche des idées anarchistes, elle refuse de se laisser enfermer dans les carcans de son époque. Sa liberté, qu’elle revendique dans ses choix de vie et d’amour, en fait une figure résolument queer, bien que ce terme n’ait probablement jamais été utilisé pour la décrire de son vivant. Dans *Fuori*, cette liberté est palpable, non seulement dans sa relation avec Roberta, mais aussi dans son rapport au monde. Goliarda incarne une forme de fluidité, à la fois sexuelle, artistique et sociale, qui défie les conventions et inspire.
Quand le cinéma s’empare du féminin pluriel
Ce qui distingue l’approche de Mario Martone, c’est sa capacité à capturer les nuances des relations féminines. Dans ce huis clos émotionnel, il donne une voix à des expériences rarement explorées, comme celle du désir lesbien naissant ou de la solidarité entre femmes dans un contexte de marginalité. La mise en scène évite tout didactisme pour privilégier une approche sensorielle et intime. Les regards, les gestes, les silences disent autant, sinon plus, que les dialogues. Cette subtilité permet de rendre justice à la richesse des écrits de Sapienza, tout en les inscrivant dans une perspective résolument cinématographique.
Un film à ne pas manquer
Si les projecteurs du festival sont souvent braqués sur les grandes productions, *Fuori* mérite une attention particulière. Mario Martone offre ici une œuvre à la fois intime et universelle, qui interroge la liberté, le désir et l’identité à travers le prisme d’une femme dont la vie elle-même était un manifeste. En résumé, *Fuori* n’est pas seulement un film sur Goliarda Sapienza. C’est une réflexion sur ce que signifie vivre en dehors des normes, aimer sans étiquette, et créer sans compromis. Une œuvre qui résonne profondément à une époque où ces questions restent, plus que jamais, d’actualité.