Un regard critique sur le punitivisme et son lien avec les luttes LGBT
Geoffroy de Lagasnerie, philosophe et sociologue, s’est imposé comme une figure intellectuelle majeure en interrogeant les fondements du système pénal. Dans son dernier ouvrage, il remet en cause le paradigme punitif qui structure aujourd’hui la justice et propose des alternatives inspirées par des principes de réparation. Ces réflexions, profondément ancrées dans son parcours personnel et son identité homosexuelle, révèlent également les affinités historiques entre le mouvement gay et des positions anti-punitives.
Vers une justice restaurative : repenser la réponse aux crimes
Lagasnerie défend une approche de justice qui s’éloigne des mécanismes traditionnels de répression. Plutôt que de penser l’acte délictueux en termes de crime et de châtiment, il propose de recentrer la réponse sur la victime : reconnaître sa souffrance, la réparer, et éviter que l’acte se reproduise. Cela implique de dépasser la logique punitive pour envisager des solutions plus nuancées et adaptées. Dans cette perspective, il s’attaque notamment aux « crimes sans victime », comme l’achat de services sexuels ou l’usage de drogues, qui impliquent des actes consentis entre adultes. Selon lui, la répression de ces pratiques est non seulement inutile mais aussi contre-productive. Pour les actes plus graves, il imagine des espaces de privation de liberté où la priorité serait donnée à la compréhension et à la prévention des récidives.
L’héritage gay dans les luttes contre l’enfermement
Lagasnerie inscrit son projet dans une tradition intellectuelle et politique qui relie les luttes LGBT à la critique des institutions carcérales et policières. L’histoire des mouvements homosexuels est marquée par une méfiance envers les logiques punitives, souvent perçues comme des outils de contrôle social et de répression. Cette affinité s’explique, selon le philosophe, par l’expérience partagée de l’oppression : vivre dans le placard, subir les injonctions familiales ou les discriminations institutionnelles crée une sensibilité particulière aux mécanismes d’enfermement et d’arbitraire. Il rappelle également que des figures majeures comme Michel Foucault ont exploré ces liens, en s’intéressant notamment à la prison et aux dispositifs de pouvoir.
Une approche non punitive face à l’homophobie
Lagasnerie souligne que le mouvement LGBT a historiquement privilégié des stratégies basées sur la création de droits plutôt que sur la multiplication des sanctions. Face à des agressions homophobes, par exemple, la réponse a souvent consisté à revendiquer des avancées comme le mariage pour tous, plutôt que de réclamer des peines plus sévères. Cette posture reflète une volonté de transformation sociale par l’inclusion et l’égalité, plutôt que par la répression.
Quand le personnel devient politique
Le parcours de Lagasnerie est profondément marqué par son identité et ses expériences personnelles. Sa relation avec Didier Eribon, lui-même intellectuel et auteur influent, a joué un rôle central dans sa formation. Leur complicité, à la fois amoureuse et intellectuelle, a façonné sa manière de penser et d’écrire. Plus tard, l’amitié avec Édouard Louis a renforcé cette dynamique, créant un espace de réflexion et de soutien mutuel qui dépasse les cadres traditionnels de la famille ou du milieu académique. Ces relations, qu’il définit comme une « famille choisie », lui permettent de revendiquer une subjectivité assumée. Pour Lagasnerie, penser depuis sa propre expérience, ses luttes et son identité est une manière de donner une profondeur politique à ses idées.
Les limites de la plainte et les leçons d’un drame
Un événement marquant de la vie de Lagasnerie a été son implication, avec Didier Eribon, dans la décision d’Édouard Louis de porter plainte après un viol. Cette affaire, qui a abouti à une relaxe de l’accusé, a profondément bouleversé ses certitudes sur la justice pénale. Avec le recul, il exprime des regrets sur cette décision, estimant que la plainte n’a pas permis de résoudre la situation, ni pour la victime ni pour l’accusé. Ce drame personnel a renforcé son engagement en faveur d’une approche alternative à la justice, où la réparation et la prévention priment sur la répression. Il illustre également comment des expériences intimes peuvent devenir des points de départ pour repenser des questions politiques plus larges.
Repenser la société à travers les liens choisis
En s’appuyant sur ses relations avec Eribon et Louis, Lagasnerie a également développé une réflexion sur l’amitié comme espace de vérité et d’émancipation. Il défend l’idée que les liens amicaux, souvent marginalisés dans nos sociétés, peuvent être des lieux de soutien et de critique bien plus authentiques que les relations professionnelles ou familiales traditionnelles. Cette vision, qui s’inscrit dans une critique plus large des normes sociales, rejoint son engagement pour une société plus inclusive et moins punitive. Pour lui, les structures rigides de domination – qu’elles soient familiales, institutionnelles ou judiciaires – doivent être remplacées par des formes de solidarité fondées sur le choix et le respect mutuel.
Un plaidoyer pour une société moins répressive
À travers ses écrits et ses prises de position, Geoffroy de Lagasnerie invite à une remise en question profonde de nos systèmes de justice et de contrôle social. En s’inspirant des luttes LGBT et de son propre parcours, il propose des alternatives qui placent la réparation, la compréhension et la prévention au cœur des réponses aux violences. Son approche, à la fois radicale et ancrée dans une réflexion intime, ouvre des perspectives nouvelles pour penser une société plus juste et moins punitive. Un projet qui, s’il peut diviser, a le mérite de poser des questions essentielles sur la manière dont nous voulons vivre ensemble.