L’écriture comme acte de résistance
Karim Kattan, auteur palestinien originaire de Bethléem, revendique la fiction comme un outil politique puissant. Dans son dernier roman, il s’affranchit des attentes imposées par un monde qui assigne souvent les écrivains palestiniens au témoignage ou au documentaire. Il propose une œuvre littéraire où la poésie et l’intime se mêlent à une réflexion sur les dynamiques de pouvoir, de désirs et d’oppressions. À travers ses personnages et le regard omniscient de son narrateur céleste, Kattan explore les tensions et les espoirs d’une réalité palestinienne complexe.
Deux hommes, un désert, une histoire
Au cœur du récit se trouvent deux protagonistes, Isaac et Gabriel, jeunes Palestiniens issus de contextes différents. Le premier, réceptionniste dans un hôtel, et le second, étudiant en architecture et chauffeur de taxi à Jérusalem, vivent une relation empreinte de désirs, de silences et d’histoires. Isaac tente de captiver Gabriel par ses récits, tandis que ce dernier revient chaque soir, apportant de quoi manger et partageant leur intimité sous l’œil attentif d’un narrateur céleste. Mais cette relation évolue dans un contexte saturé de sable, de vent et d’une fatalité omniprésente, symbolisée par le khamsin, ce vent brûlant qui semble vouloir effacer leur existence.
Le désir comme langage
Le roman de Kattan interroge les multiples facettes du désir. Isaac rêve de porter l’enfant de Gabriel, tandis que ce dernier souhaite une fusion totale où leurs identités se mélangent. Mais le désir ne s’arrête pas là : il se frotte à d’autres dynamiques, notamment celles du pouvoir. Qu’il s’agisse de l’attirance du consul anglais Wargrave pour Isaac, ou du contrôle oppressant exercé par un soldat israélien sur les deux amants à un checkpoint, le désir devient un prisme pour examiner les rapports de domination et les oppressions politiques.
- Le désir comme résistance : l’amour et l’intimité s’opposent à l’absurdité des checkpoints et des frontières imposées.
- Le désir comme piège : l’attraction pour l’autre peut aussi révéler des rapports de force sous-jacents.
- Le désir comme libération : Isaac et Gabriel imaginent un ailleurs où les corps et les esprits pourraient être affranchis de tout.
La fiction pour réinventer le réel
Karim Kattan refuse de se laisser enfermer dans une littérature qui serait seulement un reflet du réel. Dans ce roman, il imagine une Palestine où certains fardeaux – comme l’homophobie – n’existent pas, non pas par déni, mais pour offrir un espace où d’autres possibilités peuvent émerger. Ce choix est politique : il s’agit de montrer que la violence et l’oppression ne sont pas les seuls horizons des vies palestiniennes, que l’on peut rêver, désirer et créer en dehors de ces cadres imposés.
Les mots comme armes
L’écriture devient ici une tentative de transformation. Pour Isaac, raconter des histoires à Gabriel est une manière de le retenir, de le rendre inséparable de lui. Pour Kattan, le langage est un outil pour interroger le monde et, peut-être, le changer. Le roman, loin de se limiter à un constat de la souffrance, cherche à ouvrir des brèches dans l’ordre établi.
Une littérature en mutation
Le style de Kattan évolue au fil du roman, empruntant de plus en plus à la poésie et aux vers bibliques dans ses dernières pages. Cette transformation reflète non seulement l’intensité croissante des émotions et des événements, mais aussi une volonté de dépasser les formes narratives classiques pour explorer des territoires littéraires inédits. La fiction devient alors un espace de liberté où il est possible de raconter autrement, de réinventer les histoires et de donner une voix aux désirs et aux rêves.
Un contexte brûlant
La publication de ce roman intervient dans un climat politique tendu, marqué par des violences extrêmes en Palestine. Kattan a choisi de ne pas modifier son texte malgré l’actualité. Il affirme que son œuvre, bien qu’inscrite dans une réalité politique, ne se limite pas à cela. Il revendique le droit à une temporalité différente, celle de l’imaginaire, où les personnages peuvent exister au-delà de l’urgence et de la destruction.
Un geste littéraire et politique
Avec ce roman, Karim Kattan rappelle que la fiction n’est pas un luxe, mais une nécessité. Elle permet de rêver, de résister, de montrer des nuances là où d’autres voudraient des stéréotypes. En refusant de se conformer aux attentes, il offre une œuvre à la fois profondément personnelle et universelle, où les désirs humains s’entrelacent avec les luttes politiques et les réalités d’une terre déchirée. La fiction devient alors un acte d’espoir : celui de pouvoir encore inventer d’autres mondes.